Thomas et son ombre

« Je n’ai connu Thomas que mort. C’était mon oncle, membre des FTP-MOI. En 1944, il a été fusillé à dix-neuf ans avec ses camarades du Groupe Manouchian, deux ans avant ma naissance. Mais mort ou pas, Dieu sait si je l’ai connu : je suis né dans les pleurs de sa mère, le chagrin des siens, le culte de l’Affiche Rouge sur laquelle il figure. On m’a donné son prénom et j’ai même porté son nom. Son ombre n’a cessé de me suivre, moi le vivant, lui le fantôme. Ce livre est écrit pour que Thomas reprenne vie. Pour que s’approchant de vous, il s’éloigne de moi. »

(Editions Grasset – 2015)

★★★★★

Avec ce roman, Thomas Stern évoque le fantôme d’un jeune homme qu’il n’aura pas connu de son vivant mais qui aura tant pesé sur sa famille que c’est tout comme.

Fusillé en février 1944 après avoir mené de nombreuses actions dans la résistance, Thomas Elek devient l’absence, le mort en héros. Un être insaisissable qui continue pourtant à hanter les siens à travers le chagrin et la fierté. Évoqué en filigrane grâce aux souvenirs que Thomas Stern garde de ce qu’on lui a confié à propos de son oncle, le jeune Elek prend vie dans des chapitres parallèles, où la fiction vient redessiner ce personnage énigmatique. Car sa jeunesse – et par conséquent la brièveté de son existence – auréole Elek d’un mystère impressionnant. Seules quelques photos permettent de mettre un visage à son patronyme hongrois, le reste, c’est Stern qui se charge de l’esquisser, alors qu’il ne l’a pas côtoyé non plus. C’est donc un portrait essentiellement composé de souvenirs familiaux et de ressentis qui permet de présenter ce jeune homme rapidement entré dans l’ombre de la résistance et la traque qui en découle.

J’ai beaucoup aimé ce parallèle, ce fait de voguer entre des chapitres brefs et concis où Elek devient un jeune homme effrayé mais bien décidé à aller au bout de sa tâche, quand bien même il a parfaitement conscience du destin funeste qui l’attend, et ceux qui évoquent plutôt ses liens avec sa mère, sa sœur et l’impact que sa disparition va avoir sur toute la famille.

Thomas Elek devient alors l’une de ces innombrables pièces du puzzle qui composent la Seconde Guerre Mondiale. Ces pièces éparpillées qui représentent ces acteurs du conflit, victimes comme bourreau, et qui aident à intégrer l’importance que cette période a eue sur notre continent et notre société.

Enfin, j’ai particulièrement apprécié la plume de Thomas Stern. Il évoque son oncle tout en finesse et il m’est arrivé à plusieurs reprises de vouloir noter quelque part des bouts de phrases qui sonnaient parfaitement justes. Il émane également de son texte une intimité qui nous absorbe dès les premières lignes.